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ses paupières devenaient lourdes. Ses yeux se fermaient
peu à peu, malgré ses efforts répétés pour rester éveillé. De temps à
autre, un bruit extérieur le faisait sursauter. Il tenta machinalement
d'aspirer un peu de fumée de la pipe qu'il tenait dans sa main, mais elle
n'avait pas résisté à l'assoupissement. Le fourneau n'était plus que tiède.
Le peu de liquide amer qui parvint à ses lèvres au travers du tuyau longuement
mordu et usé le fit grimacer. Il cracha par terre, puis frissonna.
Pourtant, l'atmosphère était douce, à l'intérieur de la salle d'attente,
relativement à la température régnant au-dehors. La fin de l'hiver blanchissait
le décor, et le jour ne se lèverait que fort tard. Il se secoua, se leva
et s'étira pour désankyloser ses membres engourdis. Ce matin, il se sentait
vieux. Trop vieux pour ce travail qu'il aimait, qu'il avait toujours aimé,
et qu'il aimerait sans doute jusqu'à son dernier souffle ! Son rêve de
gosse qu'il avait eu la chance de pouvoir réaliser : dompter ces sombres
monstres de ferraille, conduire une locomotive.
Il marcha jusqu'à la porte vitrée, et la buée de son souffle laissait
immédiatement une auréole sur le verre. Il poussa la porte, remonta son
col et sortit au-dehors. Il avança jusqu'au bord du quai désert de la
gare. Seuls les premiers pépiements matinaux des oiseaux égratignaient
le silence. Les pauvres bestioles commençaient à chercher une maigre pitance
en grattant le sol gelé. Il regarda sa montre, la tirant de son gousset.
Quelques wagons, sur une voie en retrait, attendaient une utilisation
qui ne viendrait probablement plus. Il en détourna son regard. L'heure
approchait, et, bientôt, il entendrait le son asthmatique de la locomotive,
ainsi que le son strident de son sifflet, quand le train serait sur le
point de franchir le dernier virage. A moins qu'il ne soit en retard,
de par la fâcheuse habitude qu'il prenait ces derniers temps.
Il soupira, et fit quelques pas d'un pas plus allègre. Sorti de l'atmosphère
engourdissante de la salle d'attente, il reprenait le dessus. Seul persistait,
tout au fond de sa conscience, une gêne légère, une ombre enfouie dans
un brouillard qui refusait de remonter à la surface. Regrets, remords
? Il ne savait pas, mais était agacé par ce sentiment qui persistait depuis
plusieurs semaines. Etait-ce lié à son emploi, à sa vie familiale ? Il
ne savait pas. Pourtant, il ne faisait que son boulot de conducteur de
train ! Alors que...
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