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Ma vie est sur le point de s'achever, et j'espère avoir rempli avec succès la tâche que m'avait confié il y a maintenant près d'un demi-siècle notre Bon Roi Louis le Seizième.
Cela m'a en fait pris moins de dix ans, années
de misère morale et de peur, et le reste de ma vie a été
occupé en partie par d'autres aventures, en partie par l'écriture
et la mise au point de cet ouvrage. Ces autres aventures, je n'aurai probablement
pas le temps nécessaire de les narrer comme elles le mériteraient,
vu l'état avancé de ma décrépitude physique.
Même le vieux Chantelauze, ce fieffé mais dévoué
coquin, a fini par reconnaître que son âme de manant rejoindrait
avant la mienne le Paradis, si toutefois il en existe un pour ces gens.
Il m'a lâchement abandonné en pleine déchéance
pour partir sans vergogne vers l'au delà. Je pense le rejoindre prochainement,
et il aura alors droit à la bastonnade qu'il mérite pour n'avoir
pas terminé son service auprès de son maître, comme
ses aïeux l'avaient fait depuis l'aube des temps, depuis la naissance
de la France Immortelle !
Voici donc à présent le résultat
de la patience recherche que j'ai accomplie dans toute l'étendue
du Royaume de France, que d'aucuns ont abusivement appelé République,
pendant les années de ce qu'a duré la Révolution Française.
Maintes et maintes fois, j'ai risqué ma vie pour recueillir des témoignages
vécus, ou encore pour assister de mes propres yeux aux événements,
afin de léguer à la postérité la Vérité
de ce que fut cette période sombre de l'Histoire.
La plupart des historiens issus de la République et de l'Empire de
l'usurpateur Napoléon ont sciemment déformé les faits
en donnant une fausse image de la réalité pour justifier les
crimes immondes commis à l'encontre du bon peuple par ceux que l'on
appelle "les Révolutionnaires" !
Heureusement, notre bon roi Louis XVI avait eu une sorte de présage, et miraculeusement, il m'avait chargé de cette mission que je qualifierais de presque divine, afin que la réalité historique soit rétablie ! Je n'en tirerai aucune gloire, ayant fait tout cela pour mon Dieu, ma Patrie et mon Roi.
Tout d'un coup, donc, avec une apparente brusquerie
qui stupéfie les contemporains, avec une violence dont les éléments
paraissaient étrangers à la nation, avec une hâte qui
semblait venir d'au-delà de l'humanité, la France monarchique
et chrétienne se mit à maudire la Royauté et le Christianisme.
Elle demanda la destruction de ses prêtres, de ses princes qui l'avaient
nourrie et élevée, qui l'avaient faite la plus glorieuse,
la plus heureuse, et la plus admirée des nations.
Elle demanda que cette destruction fut immédiate et complète,
quitte à un anéantissement dans le sang.
Elle voulut que, du jour au lendemain, la fin de son age mûr se passât
dans une vie différente absolument de celle qu'avaient menée
son enfance, son adolescence, son age viril. Elle chercha à avoir
un nouvel air pour le respirer, une nouvelle atmosphère pour s'y
mouvoir.
Du jour au lendemain, elle mit au service de sa nouvelle déesse,
et pour l'extermination de ses anciens tuteurs, l'enthousiasme et la docilité
qu'elle prodiguait la veille à ceux-ci.. Cette idole nouvelle, c'est
ce qu'on nomma fort justement la Révolution.
C'est qu'en ce commencement, tout en se nommant la
Révolution, elle parut être ce dont elle est voir sacré
pour la société comme pour l'individu, le devoir qui les pousse
tous deux à se corriger, à éliminer les principes morbides
qu'ils ont reconnus en eux, à fortifier les vertus qu'ils sentent
s'amoindrir ou chanceler.
Ainsi, au début, appela-t-elle à soi les enthousiastes, les
utopistes comme les coeurs généreux, les candides comme les
habiles, les hommes sensibles et vertueux comme les débauchés
et les violents. Ces derniers se fortifièrent à l'abri derrière
le premier corps des soldats naïfs et sincères de la réforme.
Ils se trouvèrent prêts à donner impétueusement
quand cette première armée, perdant ses illusions, recula
devant l'impossibilité de l'oeuvre révolutionnaire.
Mais, comme de nombreux hommes politiques se sont écriés par
la suite, " En Ton Nom, Révolution, combien de crimes furent
commis en Ton Nom ! "
Cette nécessité de réformer
l'Ancien Régime, nécessité ressentie par presque toute
la France, reconnue par les hommes les plus intéressés au
maintien de l'état actuel, et proclamée par le Roi, personne
d'entre nous n'a envie de la méconnaître, et l'on nous calomnie
quand on nous accuse d'idolâtrie pour l'Ancien Régime.
Si ce régime politique n'a pas eu la force ou l'habileté de
s'opposer à la victoire de son ennemie la Révolution, c'est
donc qu'il avait en lui quelque élément de faiblesse ou d'aveuglement.
Nous savons, en effet, le mal qu'il a laissé faire au dix-huitième
siècle.
Mais nous savons aussi tout le bien qu'il avait fait jusque là, et
qu'il fait encore. Dès lors l'historien, s'il est intelligent et
honnête, doit, en éliminant les imperfections que le temps
a fait pénétrer dans l'organisme de ce régime, chercher
et ne retenir que les qualités qui lui sont essentielles, celles
qui ont fait la vie de la France, et sans lesquelles, manifestement, elle
ne peut exister.
Ce qui suit est donc le résultat de ces années d'efforts permanents pour en arriver, honnêtement, à ce but.
Que Vive le Roi !
Paris, le 25 juillet 1830
Marquis Charles de Ricault d'Héricault
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