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il pensa que les coups de sonnette, puis le tambourinement
à sa porte étaient des éléments de son rêve. Une musique qui résonnait et
faisait vibrer son univers onirique. Probablement que les libations et autres
excès de la soirée et de la nuit précédentes y étaient pour quelque chose.
Voire pour beaucoup ! Mais après un moment il réalisa que le vacarme était
extérieur à sa personne. Son esprit aborda les rives du conscient, et il
ouvrit un oeil.
Il rassembla péniblement des bribes de compréhension, mais un point d'interrogation
occupait toujours son cerveau. Mêlé à présent à un sentiment de colère de
plus en plus fort ! Il ouvrit la bouche pour crier et une quinte de toux
le plia en deux. Enfin il fut en état de répondre aux appels.
- Assez ! Ça suffit, enfin ! Vous êtes fou ou quoi ! Merde alors ! Voilà,
voilà, j'arrive !
Quelle bande de cons, se dit-il. Il regarda dehors, vit que le soleil était
déjà haut dans le ciel, et que la journée s'annonçait fort belle. Puis il
se dirigea vers la porte, grommelant toujours. Les visiteurs devaient avoir
entendu sa réponse, car le rythme changea.
- Ouvrez ! Police ! Ouvrez immédiatement ou nous enfonçons le porte ! Ouvrez,
Nom de Dieu !!
Tout d'abord, il pensa à une blague de ses amis. Un peu éculée, la blague
! Mais cela ne cadrait pas avec le ton de bouledogue qui traversait le panneau.
Une voix pareille, cela ne s'inventait pas ! Seul un flic hargneux, gentil
pléonasme, pouvait jouer d'un tel organe. Son second sentiment fut l'interrogation.
Il marqua un temps d'arrêt pour réfléchir. Si d'aventure il s'agissait bien
d'une intrusion de la police, à quoi pouvait-elle bien être due ? Il avait
cessé les vols de mobylettes depuis des années, et ce n'était certainement
pas les quelques grammes de cannabis qu'il possédait qui lui valaient un
tel honneur ! Alors quoi ? Les copains délinquants, c'était terminé de même
depuis qu'il avait quitté la banlieue.
Le plus simple, si en plus il tenait à sa porte, était à présent d'ouvrir. D'autant que la serrure donnait des signes de prochain renoncement ! Il ouvrit.
Il fut bousculé en arrière et se prit les pieds dans quelque chose. Trébuchant, il ne tomba pas, car il était en même temps saisi par quatre bras vigoureux. Il lui sembla qu'une foule pénétrait dans son appartement. Aucun doute maintenant sur la qualité de policiers des intrus ! Il demeura la tête contre un mur, les bras ramenés en arrière pendant que son appartement faisait l'objet d'une fouille complète.
Il entrebailla la bouche pour protester, mais la referma vite devant le visage menaçant du ci-devant flic qui l'immobilisait. Il entendit des voix jurer, dire qu'il n'y avait personne, et des objets se briser. Enfin il fut retourné. Face à lui une figure mal rasée lui postillonna une haleine fétide, chargée de tabac et de relents d'oignons mal digérés. Il eut subitement envie de rendre le petit déjeuner qu'il n'avait pas pris, mais se retint de toutes ses forces ! Vomir au visage d'un flic qui vous interroge, cela fait désordre, et augure bien mal des relations futures !
- Où est-elle ? Nous savons que c'est toi ! Où la
caches-tu ? Salopard ! Réponds, fumier !
Bien entendu, il ne comprenait rien au film. Elle ! C'était qui, elle ?
Il tenta de se justifier maladroitement.
- Mais je ne sais rien ! De qui parlez-vous ? Que me voulez-vous, à la fin
? Je n'ai rien fait ! Je...
- Ben voyons ! Avec la tête que tu te paies, ne joue pas l'innocent ! Elle
! Tu la connais bien, elle !
Une grosse main poilue aux articulations déformée par les coups donnés brandit une photo devant ses yeux. Il recula la tête pour accomoder et pouvoir distinguer qui était le modèle photographié. Mais il n'eut pas le temps, car une seconde photo remplaça immédiatement la première. Elle représentait une enfant, une jolie petite fille agée d'environ six ou sept ans, et qui proposait à l'objectif un sourire édenté.
- Non, je ne connais pas. C'est votre fille ?
- Ne te fous pas de moi ! Lui fut-il répondu.
Une gifle vint ponctuer l'ordre. Son nez, sensible, protesta en se mettant
à saigner. La première photo revint, plus stable et visible. Un court instant
lui suffit pour reconnaitre la jeune femme, et du même coup faire ressortir
des tas de souvenirs qu'il croyait enfouis.
- Mais oui ! Je la connais ! Je l'ai déjà vue ! Je sais qui c'est ! Répondit-il
finement ! C'est...
- Tu l'admets ! Pourriture ! Allez ! C'est bon ! On l'embarque ! On l'interrogera
à la Maison !
- Attendez ! Expliquez-moi !
Plus personne n'écoutait. Il cria de surprise et de douleur quand des menottes se refermèrent sauvagement sur ses poignets, et que son épaule fut à moitié démise quand ils le tirèrent au-dehors. Sur le palier, en attendant l'ascenceur, il vit que ses voisins le regardaient, effaré, se concertant à voix basse. Il était déjà en délicatesse avec eux, et ces aventures ne viendraient certes pas arranger les choses ! Pendant la descente jusqu'au rez-de-chaussée, aucune parole ne fut prononcée. En bas, on le poussa, le tira, le jeta dans une voiture qui démarra immédiatement, dans un crissement de pneus et un hurlement de sirène.
Pendant le trajet, les fameux souvenirs brisèrent
la digue du temps, et remontèrent, par brides à sa conscience. Le temps
recula de huit années. L'espace se décala d'un millier de kilomètres.
Il se sentait bien. Il était heureux. En paix avec
lui-même et le monde entier. Ou presque ! Assis au bord de l'eau, les bras
entourant ses genoux repliés, il contemplait l'horizon. Le regard réglé
sur l'infini, il laissait ses pensées vagabonder allègrement à leur guise.
Ses paupières avaient par moments une fâcheuse tendance à s'appesantir,
et son esprit à s'engourdir par la même occasion. Il se relâchait, mais
se ressaisissait aussitôt, car il voulait profiter de l'instant au lieu
de le laisser perdre en sommeil. Sommeil qu'il aurait largement le temps
de rattraper dans les années ou les siècles à venir. Il se sentait immortel
et omnipotent.
Une brise légère créait quelques vaguelettes paresseuses qui clapotaient
à ses pieds. Les branches des arbres bruissaient elles aussi, doucement,
pour ne pas troubler la quiétude anormale de cette fin d'après-midi. Une
fois de plus, il s'interrogea sur la tiédeur de l'air, ainsi que sur l'absence
quasi totale de nuages dans le ciel.
C'était un temps de saison sous un climat méditerranéen, mais curieusement, la région où il se trouvait n'était certes pas réputée pour son ensoleillement intense. Même à la mi-août, on pouvait s'attendre à un taux d'humidité supérieure dans le coeur de l'Ecosse. Et la représentation que l'on se faisait habituellement du Loch Ness était autre que le spectacle qui s'étendait sous ses yeux. Rien de mystérieux ni d'étrange à l'horizon ! Les hautes collines boisées de sapins sombres qui l'entouraient n'avaient rien de sinistre, éclairées par une lumière éblouissante.
La deuxième semaine de son séjour en Grande-Bretagne
se terminait, et la pluie avait manqué son rendez-vous. Une période exceptionnelle
de beau temps chaud s'était sauvagement abattue sur le pays, contredisant
avec ironie les prévisions météorologiques les plus optimistes.
Les pulls, imperméables et autres parapluies qu'il avait jugé indispensable
d'emporter, et qui gonflaient honteusement ses bagages, s'étaient jusqu'à
ce jour avérés désespérément inutiles et encombrants.
Heureusement, si l'on peut dire, il n'y avait que fort peu de chances que
la pluie ne fasse pas son apparition sournoise dans les prochains jours,
accompagnée de ses inséparables complices, le vent et le froid. Surtout
s'il décidait de remonter encore un peu en direction du Nord. Il avait en
effet entendu parler d'un endroit à ne pas manquer et à visiter absolument,
parmi d'autres : un château médiéval transformé en Auberge de Jeunesse,
beaucoup plus haut qu'Inverness, dans les landes désertiques de l'extrême
Nord de l'Ecosse. Et qui plus est, manifestement hanté ! C'est ce que les
Allemands rencontrés plus tôt lui avaient assuré, en lui recommandant de
ne manquer la visite sous aucun prétexte !
Il suivit du regard quelques oiseaux qui tournaient en criaillant, haut dans le ciel. Certainement des mouettes à l'affut d'un poisson téméraire se rapprochant de la surface du lac. Pardon, du Loch ! Les eaux n'étaient pas très engageantes : noires, glacées, le fond disparaissant rapidement à quelques mètres du bord. La profondeur était telle, visiblement, que rien n'empêchait de croire aux choses hideuses et innommables se cachant probablement depuis des siècles dans les recoins cachés des gorges inexplorées. C'est du moins ce que disaient les commentaires lyriques que l'on pouvait lire et entendre à la station d'étude du Monstre Nessie, là-bas, sur l'autre rive, photos floues et traces de morsures à l'appui !
Il avait bien entendu visité le musée, étape obligatoire sur la route. De même qu'il s'était forcé à se baigner dans l'eau dont la température ne dépassait certainement pas les douze degrés, bien que l'on soit au milieu de l'été. La baignade avait été courte, et immortalisée par une photo. Bien entendu, malgré son scepticisme, il avait tout de même surveillé du coin de l'oeil l'horizon, au cas où la légende aurait eu un fond de vérité, et si quelque chose avait surgi du fond glauque. Mais aucun bouillonnement suspect, aucune brume soudaine, pas de forme fantomatique s'approchant subrepticement. S'il était sorti en courant de l'onde, l'engourdissement qui le gagnait rapidement en était la raison unique ! La seule ! Et pas le frémissement de l'eau, là-bas, à une petite centaine de mètres !
A présent, il se réchauffait doucement, profitait de l'instant de quiétude et écartait ses problèmes comme les moustiques qui rôdaient autour de sa peau humide. Le camping était calme, peu de tentes avoisinaient la sienne. Les touristes téméraires attirés par la région, magnifique d'ailleurs, des Highlands, préféraient visiblement d'autres formes d'hébergement, hôtels ou "Bed and Breakfast". Sans donner tort à qui que ce soit, il préférait quant à lui le confort spartiate et la liberté laissée par le camping. Camping sauvage quand la possibilité existait, camping classique lorsque le besoin en douche et sanitaires se faisait cruellement sentir. Sentir au propre comme au figuré !
- Tu es là ?
Il sursauta, se leva à demi, et se retourna pour répondre.
- Je suis là. Tu ne pensais pas que je t'avais abandonnée ?
Un rire cristallin et juvénile fut la réponse. Il reprit la parole :
- Tu veux te baigner ? L'eau est très, très bonne ! Mentit-il.
- Bien sur ! Je te crois ! Je t'ai vu sortir en courant et te frictionner
!
Une tête blonde et hirsute émergea par l'ouverture de la tente, croquant une pomme à pleines dents. Souplement, le reste de son corps se glissa au-dehors et elle se releva. Un short de toile moulait ses longues jambes fines et fuselées. C'était une toute fille, loin d'être une femme, parvenant à peine au bout de l'adolescence. Elle avait seize ans. Ravissante, fragile, désirable, elle était tout cela aux yeux du jeune homme, et plus encore. Il avait été subjugué dès le premier regard, et depuis, leur sentiment réciproque s'était épanoui. Après moins d'une semaine, dont deux jours seulement de solitude, on ne pouvait pas encore appeler cela la passion. Pourtant, avec le temps, sans doute n'aurait-il de cesse de croître et de s'épanouir.
Continuant à rire, la bouche remplie de morceaux
de pommes, elle se jeta dans ses bras. Il la fit tournoyer en l'air jusqu'à
ce qu'elle crache et manque de s'étouffer. Ils s'écroulèrent ensuite sur
le sol en chahutant gaiement. Elle reprit la première son sérieux. Le regardant
pensivement, elle s'étonna une fois de plus de son propre comportement.
Elle s'était jusqu'alors considérée comme une jeune fille sérieuse, réfléchie,
pas du tout le genre à se jeter à la tête du premier venu, et à la moindre
occasion. Surtout dans de telles circonstances !
Ses parents les avaient laissées partir, sa soeur et elle, sans enthousiasme, avec moult recommandations, après un chantage à l'affection. Les conditions complémentaires avaient été extrêmement strictes, elle devait obéir aveuglement à sa soeur. Point de contestation là dessus ! Vu son jeune âge, elle dépendait entièrement de son aînée, de quatre ans plus vieille. Elle espérait qu'ils n'étaient pas au courant de l'aventure, et mieux, qu'ils ne le sauraient jamais. Sa soeur avait un caractère de cochon, digne d'un sous-officier de carrière, mais elle n'était pas foncièrement méchante, et portait une grande affection à Laurène. Là se trouvait une des causes de l'acceptation de l'aînée d'emmener en vacances sa petite soeur, seules, ou du moins sans la présence des parents. Dieu sait qu'il avait fallu des pleurs et une psychologie appliquée efficace pour parvenir à ce résultat. Elle devait à présent amèrement regretter de s'être laissée convaincre. Un de ses rares moments de faiblesse !
Pourtant le voyage avait bien commencé. Dans la joie et la bonne humeur, elles avaient quitté Paris ce matin-là, dans la brume annonçant une journée caniculaire. Elles, c'est-à-dire elle-même, Laurène, sa bien-aimée soeur, Clémence, au volant de la petite voiture, et leur amie Camille, la dernière du trio féminin. Direction : Calais, puis Douvres, puis directement le Nord de l'Angleterre et l'Ecosse, en évitant l'agglomération londonienne. La visite, ou plutôt l'exploration de la capitale, serait pour le retour.
Les rires se succédaient, la bonne humeur régnait. Normal pour un départ en vacances seules, entre filles, pour la première fois, du moins pour Laurène. Les deux autres ne s'encombraient plus des parents depuis plusieurs années, et leur destination habituelle était le Sud, Côte d'Azur ou océan.
Cette année, décision avait été prise de changer
et de partir pour des vacances studieuses, de visites de monuments et d'itinéraires
touristiques dans cette partie de l'Europe qui les attirait. Là-dessus étaient
venues se greffer la demande, puis les supplications de la petite soeur
! Elle voulait également couper le cordon ombilical, provisoirement du moins,
et l'occasion qui se présentait était trop belle. Si Clémence avait voulu
partir se bronzer comme les années précédentes, il n'y aurait absolument
rien eu à faire. Les tentations, d'après leurs parents, étaient beaucoup
trop fortes dans ces lieux de débauche que sont les stations balnéaires
du sud en cette saison, pour une fille aussi jeune ! En revanche, la perspective
d'un voyage plus ou moins culturel, sous l'égide attentive de Clémence,
les avait sinon séduit, du moins fait fléchir sans trop d'angoisse.
Et voilà comment une décision si simple avait entraîné des conséquences
compliquées avec des ramifications inattendues !
- Youpie ! C'est super de partir comme ça ! Nous
sommes libres ! Et Vive la Liberté ! Au revoir Paris ! A nous l'Angleterre
!
Clémence tenta de tempérer sa soeur.
- Attention ma petite ! Pas de bêtises. Tu es sous ma responsabilité !
- Tu peux dire tout ce que tu veux, rabat-joie ! Aujourd'hui, tu ne m'auras
pas ! Je suis trop contente de partir !
Elle continua, histoire d'embêter sa soeur.
- Je vais me trouver un bel Anglais, grand et blond, et nous partirons nous
marier dans ce village écossais, j'ai oublié le nom, où le forgeron local
unit tous les couples qui viennent à lui. Ou bien, peut-être un Allemand,
ou un Hollandais. Pourvu qu'il soit beau ! Mais dans tous les cas, pas de
Français ! J'en côtoie toute l'année, alors ras-le-bol de ces machos !
Clémence n'ajouta rien aux commentaires de Laurène, mais n'en pensa pas
moins. Elle connaissait bien sa soeur, qu'elle continuait à appeler "la
petite". Au grand dam de celle-ci, d'ailleurs !
Issues d'un milieu bourgeois, elles habitaient avec leurs parents dans le XVIème arrondissement de la capitale. Clémence étudiait avec application à la Faculté de Lettres, visant sérieusement sa licence de langues étrangères. Là était l'une des raisons des vacances anglo-saxonnes. Son physique, relativement ingrat, lui avait permis, à son corps défendant, de se consacrer presque exclusivement à ses études. Bien entendu, elle avait tout de même eu une vie sentimentale. A vingt ans passés, n'est-ce-pas, à notre époque, une jeune fille se devait de tout connaître de la vie.
Elle avait eu quelques expériences sexuelles, qui l'avaient laissée déçue et méfiante. Elle n'entretenait pas de liaisons durables, uniquement des relations périodiques. Elle refusait de se laisser enfermer si jeune dans un carcan familial étouffant, comme ses parents le désiraient. Leur exemple la refroidissait.
Son air sévère, plutôt que sa constitution robuste, contribuait à tiédir les ardeurs masculines, et transformait les élans amoureux intempestifs en une sorte d'amitié virile. Pourtant, bien arrangée, un peu maquillée, avec une coiffure autre que ces sempiternels cheveux mi-longs, raides, la plupart du temps attachés en arrière, Clémence aurait été attirante. Longues jambes musclées, ventre plat de sportive accomplie, poitrine agressive bien que trop souvent camouflée, elle avait l'air de ce qu'elle deviendrait plus tard : une maîtresse femme !
A l'opposé, Laurène disparaissait devant elle. Menue,
les cheveux blonds bouclés tombant en cascade dans son dos, gaie, chaleureuse,
ouverte, mais timide, elle souffrait d'un complexe devant sa soeur, qu'elle
considérait comme une seconde mère. Pas du tout comme une amie ou une confidente.
Elle se souvenait encore avec effroi des remontrances et des reproches que
Clémence lui avait adressés, lorsque naïve, elle lui avait narré en toute
innocence, comme à une soeur, son premier baiser avec un garçon de son age
!
La leçon avait servi, et leurs relations avaient pris alors une autre tournure.
Plus question de secrets partagés ! Etudiante en première dans une école
privée pour filles de bonnes familles, Laurène n'avait que peu d'occasions
de sortir seule, c'est-à-dire sans Clémence, qui la surveillait mieux que
le lait sur le feu !
Bien sur, elle avait eu plusieurs flirts, mais rien
de sérieux qui aurait pu dépasser le stade du baiser prolongé et des promenades
enlacés. Si seulement sa soeur pouvait se caser définitivement ! Encore
que dans ce cas, Laurène aurait moins de latitude pour sortir, avant plusieurs
années.
Elle tenait donc particulièrement à ce que les vacances soient une réussite
totale, pour créer un précédent !
Et la troisième, Camille ?
A six mois près, le même age que Clémence. Silencieuse autant que les autres
étaient bavardes, elle était aussi très différente physiquement. Petite,
plutôt dodue, avec une bonne figure ronde encadrée de cheveux courts bouclés.
Silencieuse, mais vive et alerte. Dynamique, toujours prête à s'amuser,
danser, s'éclater. D'un caractère facile, elle s'intégrait aisément, et
se fondait dans le décor. Depuis plusieurs années, elle était la meilleure
amie de Clémence. Etudiant ensemble, habitant à proximité l'une de l'autre,
elles avaient pratiquement une vie commune. Caractères opposés, mais complémentaires
par de nombreux côtés. Clémence dirigeait, Camille suivait et accompagnait
!
La petite voiture roulait gaiement, abandonnant derrière les dernières banlieues parisiennes. L'organisation et le planning avaient été fait d'une manière extrêmement précise, ne laissant place à aucune improvisation ou activité impromptue. Autoroute du Nord, Calais, billets réservés pour la traversée de la Manche par car ferry, liste des étapes, campings, chambre d'hôte. Et puis, les lieux à visiter, à éviter, à traverser.
C'est ainsi que la première partie du voyage se déroula,
conformément aux prévisions.
Elles remontèrent directement vers le Nord de l'Angleterre, et trois jours
après le départ, elles dépassaient Birmingham, pour entrer de plein pied,
sous un soleil digne du sud de la France, dans cette région magnifique de
lacs et de forêts que les anglais appellent le "Lake District".
Collines verdoyantes, maisons typiques, resplendissant sous la lumière estivale.
Le trafic était fluide, la voiture roulait sans aucun
problème mécanique. La révision avant le départ avait été complète, les
pneus changés, les freins révisés, comme pour une expédition au bout du
désert australien ! Mais Clémence ne laissait rien au hasard.
Elles quittèrent l'autoroute pour plonger plus avant dans la campagne accueillante.
Plusieurs objectifs avaient été définis et nécéssitaient au moins deux journées.
La petite route sinuait au milieu des haies, et au sommet d'une colline,
elles décidèrent de faire une halte pour admirer le lac en contrebas. Fort
à propos, une aire de stationnement leur offrait l'occasion de s'arrêter.
Pratiquement déserte, elle étalait ses bancs et ses tables de pierre pour
les inviter à déjeuner.
Un seul véhicule était garé non loin : une épave
ambulante, une antiquité de Deux-Chevaux datant au moins des années Trente,
si cela était possible. Heureusement que la ficelle et le sparadrap avaient
été inventés !
Deux types se prélassaient, paraissant soutenir le tas de boue. Un barbu,
grand et costaud, et un autre, plus petit, frisé, de type méditerranéen.
L'immatriculation était, sans conteste, française. Comme toujours dans ces
cas-là, le dépaysement joue à plein, et l'on ne peut s'empêcher de fraterniser.
Clémence se rangea donc à côté de l'autre voiture, se pliant aux prières
de sa soeur et de son amie !
Plutôt que des hommes, il s'agissait d'adolescents d'une vingtaine d'années,
de style étudiant, mais pas du tout semblables à ceux que Clémence côtoyait
habituellement !
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